Princesse, Geek & chocolat chaud – Chapitre 1

– CHAPITRE 1 –

Noah

     Parfois, je ne comprends pas mon frère. Il y a eu cette fois où il a voulu se lancer dans l’élevage de gerbilles pour gagner de l’argent de poche. Mais les gerbilles, ça bouffe tout. Résultat ? Elles ont fini en liberté dans l’immeuble à ronger les câbles électriques. Nous, on a été privés de sortie pendant six mois. Je n’ai toujours pas compris pourquoi on m’a puni aussi.

     Il y a eu le jour où il a acheté une tonne de peluches sur un site chinois afin de les revendre au prix fort. Je sais, on dirait que c’est une bonne idée. Mais pas du tout. Les peluches sont arrivées avec des défauts de dingue et maintenant on a une collection de peluches difformes dignes d’un film d’horreur.

     Mon frère a toujours eu l’âme d’un entrepreneur. Et il a finalement réussi à ouvrir un magasin de farces et attrapes avec un rayon pour les cadeaux douteux. Et c’est précisément parce qu’il a cette boutique, et que je bosse pour lui, que je me retrouve dans cette galère. Ma galère ? Visiter le Consulat et un musée des monarchies dont je me fiche royalement au lieu de pouvoir exploser les scores sur mes jeux en ligne. Et le tout, sur mon jour de repos. Sinon, ça ne serait pas drôle.

     — Tu prends quoi, Noah ?

     On fait la queue pour une boisson chaude. Pouvoir nourrir mon addiction au chocolat chaud est bien le seul réconfort de cette journée pourrie. Je m’étire, bâille à m’en décrocher la mâchoire. J’étais pas prêt à me lever si tôt pour aller visiter des trucs nazes.

     — À ton avis ?

     Nolan me désole parfois. C’est pas comme si on était frères depuis dix-neuf ans ! J’en buvais déjà au biberon du chocolat chaud. Alors je ne vais pas me mettre à demander un latte lait de soja frappé à la framboise, il faut être logique.

     Il roule des yeux et se tourne vers la serveuse.

     — Un chocolat chaud pour le gamin et un double expresso pour moi.

     — Bien sûr, couine-t-elle. Je peux avoir vos prénoms ?

     Elle est rouge et glousse quand mon frère lui tend sa carte. Nolan a toujours cet effet sur les filles. Il est grand, brun, avec des yeux bleus et une barbe qui lui donne plus l’air d’avoir la trentaine que vingt-trois ans. Monsieur va à la salle pour entretenir ses muscles, il voudrait que j’y aille, mais je me sens très bien devant mon ordinateur.

     Et moi ? Je suis plutôt petit, maigrichon, avec de grosses lunettes. Le combo yeux bleus et brun ténébreux que je partage avec mon frère ne suffit pas à rattraper le reste. Je dois filer ma pièce d’identité au cinéma pour aller voir les films interdits aux moins de seize ans. C’est la honte, mais on finit par s’y faire.

     — C’est chou de garder son petit frère, commente la serveuse.

     Oui, adorable… Je devrais porter plainte pour maltraitance. C’est qu’il m’a sorti de ma chambre en usant de la force !

     Il m’a soulevé comme une brindille et a déclaré qu’on allait faire cette visite gracieusement offerte par l’association des commerçants et que si je refusais, il me retiendrait une semaine de salaire. Sadique.

     Je ne savais même pas que les Consulats se visitaient. J’imagine que s’ils le font c’est que ça doit avoir un intérêt pour le pays. Sans doute doit-il jouer un rôle au-delà de l’administratif, peut-être faire connaître un petit pays. Je n’imagine pas le Consulat français ouvrir ses portes à tout le monde. Ils ont déjà bien assez de touristes dans leur pays sans en avoir besoin dans leur Consulat.

     Du coin de l’œil, je vois Nolan griffonner son numéro sur le ticket de caisse et le glisser à la serveuse. Elle sautille. C’est ridicule. J’attrape ma boisson qui me réchauffe quand nous quittons le café. Il neige depuis quelques jours. Je ne suis pas fan de la neige. C’est froid, ça colle et à New York elle devient rapidement grisâtre.

     — On va passer une super journée ! Ça va être intéressant de visiter un Consulat et un musée, s’enthousiasme Nolan.

     — Et on va visiter lequel de Consulat ?

     Il sort nos billets et plisse les yeux pour mieux lire. Je crois qu’il a aussi besoin de lunettes, mais qu’il ne se l’avoue pas.

     — Celui de Thorstyrka.

     À tes souhaits !

     Thorstyquoi ?

     — Je croyais que c’était toi l’intello de la famille ? Je suppose que c’est un pays puisqu’il y a un Consulat.

     — Désolé, j’ai étudié que les pays normaux en cours, pas ceux qui te filent l’impression d’éternuer quand tu les prononces.

     — Et tu comptes entrer à Columbia sans connaître tous les pays ? ricane-t-il.

     Je remonte mes lunettes sur mon nez. Je devrais les faire ajuster.

     — Je crois pas qu’on demande aux étudiants du cycle ingénierie et sciences appliquées d’être des dieux de la géographie. Je sais coder, pirater, programmer, c’est quand même plus intéressant que de connaître le Thorstymachin.

     — Eh bien grâce à l’association des commerçants, tu sauras coder, pirater, ce qui est très mal, programmer ET parler du Thorstyrka aux recruteurs de l’université !

     Je souris. Je sais que mon frère fait tout pour que je puisse entrer à Columbia et payer les frais de scolarité sans me coller un crédit étudiant sur le dos. Quand j’ai fini le lycée, l’an dernier, j’étais dépité à l’idée de ne pas pouvoir candidater comme les autres. Les voir recevoir leurs lettres d’acceptation me filait mal au ventre. Je crevais de jalousie. Puis, Nolan m’a aidé à relativiser. Après tout, je suis libre de postuler plus tard. Et mon expérience de vendeur dans sa boutique montrera mon sérieux aux recruteurs.

     Nous marchons dans le froid jusqu’à un magnifique hôtel particulier au cœur de Manhattan. Je lève la tête face à l’immense bâtisse. On peut dire que le consul du Thorstytruc se mouche pas du coude. Ça doit être très sympa comme pied-à-terre new-yorkais. Je vois un panneau indiquant l’entrée des visiteurs. On ne peut pas dire que la foule s’y presse.

     En même temps, si c’est un cadeau venant de l’association des commerçants, c’est qu’ils n’ont pas dû payer cher les tickets. À Noël dernier c’était des entrées pour le Championnat du monde de toilettage de caniches. Parfaitement, ça existe. Mais on n’a pas pu voir la finale parce que Nolan s’est moqué d’un caniche et un éleveur nous a poursuivis avec un balai.

     Ce souvenir me fait sourire. Même si je râle, j’aime passer du temps avec mon frère. Nous entrons dans le Consulat, il n’y a aucun visiteur et la guichetière se fait les ongles. Je vérifie que j’ai bien mon téléphone dans ma sacoche pour prendre des photos. Nolan adore faire imprimer des albums. Et parfois il nous fait des séances de nostalgie en les feuilletant tout en sirotant un café.

     Mon frère lui tend nos billets.

     — Vous voulez les audioguides ? questionne la guichetière.

     Quand elle daigne lever les yeux sur lui, elle a exactement la même réaction que la nana du café. Je patiente. Il n’y a rien d’autre à faire. À force, je suis blasé.

     Mon frère se jette sur l’audioguide. Dans la mesure où il ne donne pas son numéro à la guichetière, je suppose qu’elle ne l’intéresse pas. Je décline le boîtier, je n’ai jamais été fan de ces trucs. Je trouve qu’on a l’air stupide avec ce machin à l’oreille. En plus ça se déclenche jamais quand il faut.

     Nous partons à la découverte du Consulat. La décoration est surchargée et d’un autre temps. Je distingue vaguement l’audioguide de mon frère expliquer que l’ameublement est du XIXème siècle. Je bâille à m’en décrocher la mâchoire. Je crois bien que cette visite est pire que le concours de toilettage de caniches.

     Nolan est passionné, il lâche des « Ah » et des « Oh » admiratifs alors que nous passons devant un énième vase moche. Les murs sont couverts de tapisseries aux motifs floraux avec des dorures et autres détails rococo. On ne voit plus le parquet sous l’amoncellement de tapis richement décorés.

     Quand nous arrivons au septième boudoir, je décide de fausser compagnie à mon frère pour m’offrir une visite à mon rythme. Je devrais avoir plié le circuit en cinq minutes et m’affaler sur le fauteuil de l’accueil pour jouer sur mon téléphone.

     J’emprunte un escalier et m’éloigne des « Oh » et des « Ah » de mon frère. Je m’engouffre dans un couloir où il n’y a plus de petits panneaux indicateurs.

     — Génial, ils ont eu la flemme de faire le circuit jusqu’au bout, je rumine.

     Je dégaine mon portable. Je ne m’attends pas à avoir des messages. Mon frère est mon seul ami. Je suis plutôt du genre solitaire. Je traîne sur Twitter pour voir les dernières tendances, continue d’avancer en espérant tomber sur un panneau qui indique la sortie.

     — AH ! Vous êtes là ! lance une voix féminine.

     Je relève le nez de mon téléphone. Une femme au chignon strict brun avec un tailleur gris s’avance vers moi d’un pas nerveux.

     Qu’est-ce qu’elle me veut ?

     Elle me tend sa main ridée et parcheminée. Je suppose que je dois la serrer.

     — Je suis Anika Brora, l’attachée au protocole et aux relations avec la presse. Je ne pensais pas qu’on nous enverrait un stagiaire pour l’interview.

     — P-pour l’interview ? je bégaie en lui serrant la main.

     De quoi elle parle ?

     Je suis paumé. Moi, je veux juste trouver la sortie et pouvoir jouer à mon jeu de stratégie.

     — Oui l’interview ! Bon sang, votre rédaction aurait pu mieux vous briefer. Son Altesse vous attend depuis déjà une demi-heure, c’est inadmissible !

     Et voilà que je me fais engueuler !

     Malgré tout, je la suis. Parce que je suis très curieux de voir cette fameuse altesse. Je me demande si ce sera aussi une vieille peau comme Camilla machin-truc en Angleterre. Après tout, c’est pas tous les jours qu’on peut voir une altesse ! Quand je vais le raconter à Nolan, il sera vert ! Je vais voir le truc le plus intéressant de ce Consulat. 

     — Vous vous inclinerez devant la princesse Elyna. Vous l’appellerez « votre Altesse » et vous ne la regarderez pas dans les yeux.

     — Dites donc, c’est du genre strict chez vous, je ricane.

     Elle fait volte-face et plante ses poings sur ses hanches. J’ai l’impression qu’elle va me manger.

     — Écoutez. Vous êtes un jeune chien fou. Je devrais normalement appeler votre rédaction et leur demander pourquoi ils nous ont envoyé le petit stagiaire. Mais vous avez de la chance, car la princesse tient à cette interview et ne veut pas la reporter. Alors vous allez baisser la tête et nous témoigner le respect que nous méritons.

     Je fais un peu moins le malin. Baisser la tête, ça va être compliqué. Je suis trop curieux de voir la princesse. J’espère qu’elle est jeune et jolie. Histoire de faire rager encore plus mon frère.

     La double porte en bois aux rinceaux dorés s’ouvre comme par magie. L’attachée au protocole me précède, ce qui me laisse tout loisir de garder la tête bien droite pour ne rien louper du spectacle.

     Je vois d’abord une longue robe d’un bleu polaire. Je remonte le long de l’amas de tissus moiré jusqu’à une taille étroite soulignée par une ceinture. Puis, je suis étonné par les longs cheveux blonds, presque blancs, de la princesse. Elle est face à une fenêtre. La lumière lui donne un air d’apparition divine.

     — Votre Altesse, le journaliste est là.

     Je souligne que l’attachée au protocole fait l’effort de s’exprimer en anglais pour ne pas me laisser sur le côté.

     La princesse se retourne. J’ai le souffle coupé. Je n’ai jamais vu une beauté pareille.

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